Plus que jamais, le rapport entre le temps et la ville urbaine s’installe comme une tendance forte face à la crise sanitaire que nous traversons actuellement. Comment repenser l’organisation des villes afin de les rendre plus résilientes et en mesure d’offrir aux habitants davantage de temps ? Carlos Moreno, scientifique franco-colombien, professeur associé à l’IAE de Paris, défend justement l’aménagement de la vie au sein de la ville au profit de ses habitants. C’est le concept de « la ville du quart d’heure », qui doit constituer la parfaite convergence de trois courants : le chrono-urbanisme, la chronotopie, et la topophilie. Explications !

Pouvez-vous nous raconter les origines et l’émergence du concept de la « ville du quart d’heure » ?

 

Le concept de la « ville du quart d’heure » est né dans les années 60 d’un travail de recherche de la communauté scientifique internationale en Europe et aux Etats-Unis. Nous cherchons à comprendre le rapport entre le temps et la ville urbaine, et même la ville territoriale, à travers la convergence de trois courants : le chrono-urbanisme, rapport du temps par rapport à la vie dans la ville, la chronotopie, la manière d’utiliser un lieu de manière polyvalente en fonction du moment et la topophilie, le récit autour du lieu dans lequel on vit. Pour aller au-delà du « rythme temporel de la ville », je me suis intéressé à comprendre les usages de la ville pour ne plus raisonner uniquement en termes d’infrastructures. Nous ne devons plus être des aménageurs de la ville, mais plutôt de la vie dans la ville pour éveiller chez les habitants un sentiment de fierté, d’urbanité et de civisme.

L’enjeu est donc de taille pour s’affranchir de la mobilité subie qui oblige les habitants à se déplacer une heure, matin et soir, ainsi que pour rompre avec la notion d’anonymat omniprésente au cœur de villes toujours accélérées. Pour y parvenir, j’ai identifié les « 6 fonctions sociales urbaines indispensables », qui doivent être accessibles à quinze minutes à pied ou en vélo : habiter, travailler, s’approvisionner, mais également accéder aux soins tant aux niveaux physique que mental, à la culture, à l’éducation et enfin aux loisirs. Finalement, il ne s’agit pas d’un village du quart d’heure où chacun est isolé, mais plutôt un quart d’heure fonctionnel permettant aux habitants d’explorer et de profiter au mieux des ressources d’une ville qui devient multicentrique.

Créer de la proximité, c’est répondre aux enjeux du changement climatique, tout en rendant la ville plus agréable avec plus de végétation. Sur le plan social, c’est tendre vers davantage de solidarité et d’inclusion. Enfin, par rapport à la vie économique, cela se traduit par l’émergence de nouveaux services. Cela veut dire que l’on s’intéresse non plus à produire plus de mètres carrés mais plutôt à rééquilibrer les mètres carrés existants.

Quelles sont les villes qui ont déjà instauré la démarche de ville du quart d’heure ?

 

Un certain nombre de maires ont déjà intégré le concept de « la ville du quart d’heure » en Europe. On peut naturellement citer la ville de Paris avec Anne Hidalgo qui a construit sa campagne de réélection sur ce modèle, et qui avait déjà engagé une réflexion notamment avec « Réinventer Paris », « l’Arc de l’Innovation », « Parisculteurs » et le projet « Porte de Paris », entre autres. En France il y a aussi la ville de Nantes avec « Nantes à portée de la main », mais aussi Mulhouse, Metz, Reims. La démarche s’est développée en Espagne, dans de petites villes comme Pontevedra, ou à Barcelone avec le concept de « superblocks », mini-quartiers qui réduisent la place de la voiture au profit de rues piétonnes transformées en espaces citoyens et végétalisés. La pratique est courante dans les pays nordiques qui ont déjà un nouveau rapport avec le temps. A Copenhague, par exemple, le quartier des cinq minutes est même en construction avec Nordhavn.

Par ailleurs, de nombreuses villes, que ce soit en Italie avec Milan et d’autres villes, en Grand Bretagne, comme Édimbourg, Irlande avec Dublin, au Canada, comme Montréal ou Ottawa, en Australie avec Melbourne ou bien en Amérique latine, Bogotá, sont devenues moteurs de cette action et sensibilisent d’autres à ce concept à travers la planète. La mise en place du nouvel agenda urbain 2030 par l’organisation UN-Habitat lors d’une conférence mondiale des villes Habitat III il y a cinq ans intervient également en ce sens.  Quelles que soient la densité des espaces ou l’échelle de temps, l’idée est la même : donner un visage plus humain aux villes en créant de la proximité au bénéfice de tous.

Quelles que soient la densité des espaces ou l’échelle de temps, l’idée est la même : donner un visage plus humain aux villes en créant de la proximité au bénéfice de tous.

Carlos Moreno
Scientifique, Professeur associé à l’IAE de Paris

Comment évaluer les bénéfices qualitatifs et quantitatifs ?

 

Nous créons des indicateurs comme la Haute Qualité de Vie Sociétale (HQVS) pour évaluer des ratios dans le rapprochement des fonctions sociales et urbaines. Ces indicateurs nous permettent de mesurer un meilleur bien-être individuel, familial, ou bien encore lié au voisinage, au travail, à l’écologie, et dans les comportements citoyens par rapport à la manière dont nous vivons. Aujourd’hui, nous travaillons pour gagner plus, mais nous notre mode de vie de production et de consommation ainsi que notre rapport au temps utile sont à revoir en profondeur. Il s’agit donc de récupérer le temps dont nous sommes dépossédés pour bénéficier d’une meilleure qualité de vie avec soi-même et ses proches. Avec le confinement, nous avons réalisé en quelques heures que nous pouvions avoir une autre approche par rapport au temps et à la distance.

La crise sanitaire du COVID-19 est-elle un accélérateur dans l’initiation au concept de « la ville du quart d’heure » aux quatre coins de la planète ?

 

La crise sanitaire offre aujourd’hui un nouveau paradigme avec le développement de nouvelles proximités, la diminution de la fréquentation des transports et de fait en offrant une réponse durable au défi climatique. Plus que jamais, la pandémie du COVID-19 met donc la lumière sur la pertinence du concept de « ville du quart d’heure ». Suite au besoin essentiel de proximité tout au long de la période de confinement avec la possibilité de se déplacer à seulement un kilomètre de son domicile, de nombreuses villes ont été amenées à s’interroger, notamment celles du C40, réseau mondial des villes pour le climat présidé par le maire de Los Angeles.

Ce réseau est en train de créer une « task force », appelée la « Recovery task force post COVID-19 ». L’axe sélectionné par rapport au COVID-19, n’est autre que la « ville du quart d’heure ». Ainsi, à l’instar d’autres villes, Milan, capitale économique de l’Italie et très durement touchée par la crise sanitaire, a tracé sa nouvelle feuille de route pour la période post-COVID sur la ville du quart d’heure et la mobilité en vélo avec pas moins de 35 kilomètres de routes qui seront transformées en pistes cyclables.

>>> Comment faciliter les mobilités douces et partagées au service des salariés ? <<<

Deux conférences ont déjà eu lieu et un document orienté sur la ville du quart d’heure comme voie de sortie dans cette période inédite au bénéfice des villes, quelles que soient leurs tailles, va être diffusé. Les villes œuvrent donc pour créer de nouveaux rapports sociaux, de nouveaux rapports avec le temps et la crise sanitaire a démontré que l’on peut vivre et travailler autrement. Plus que jamais, la ville du quart d’heure, décentralisée, polycentrique, maillée, porte cette résilience.

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