Il n’est plus à démontrer que les acteurs de l’immobilier et de la construction jouent un rôle majeur pour diminuer les consommations énergétiques et les émissions de CO². De nouveaux usages et réflexes sont aujourd’hui inhérents à tous projets immobiliers tels que le recours aux matériaux bio-sourcés, à l’économie circulaire, aux mètres carrés « utiles »… Pour développer une approche véritablement efficace sur le plan environnemental, le prisme de lecture a radicalement changé puisqu’il considère chaque projet immobilier à l’échelle du quartier et de la ville. Décryptage avec Caroline Sainderichin, Directrice Générale Déléguée Production France chez BNP Paribas Immobilier Promotion, et Nicolas Vasset, Directeur général adjoint chez BNP Paribas Immobilier Promotion en charges des études Immobilier d’Entreprise

Comment construire un immeuble capable de respecter l’environnement tout au long de son cycle de vie ?

 

Nicolas Vasset : Le respect de l’environnement est un sujet très vaste en réalité. Nous pourrions considérer par exemple qu’un immeuble respectueux de l'environnement n'utilise pas ou peu de matière nouvelle, et a recours aux filières de réemploi des matériaux. L’immeuble le plus respectueux est à mon sens celui qui est déjà construit, charge à nous d’y appliquer une transformation la plus respectueuse possible pour lui redonner une fonction en phase avec les besoins actuels ; Puis une fois cet usage expiré, lui redonner une troisième vie etc.

Caroline Sainderichin : Je pense également qu'il y a différents temps dans la vie d’un bâtiment et qu’en qualité de promoteur, nous nous devons d’envisager l’intégralité de ses usages à court et moyen terme, et pour l’ensemble de ses parties-prenantes.

En effet, l'acte initial relève de la construction ou de la réhabilitation, mais il y a aussi le temps de la maintenance et celui de la vie de l’immeuble. Les éventuelles déconstructions ou démolitions doivent également être pensées dès la phase de conception du bâtiment. Nous travaillons beaucoup chez BNP Paribas Immobilier Promotion sur la notion de cycle de vie et d’ACV[1].

Le développement et la production d’un projet s’établissent de manière opportune et sur-mesure en fonction des enjeux environnementaux et sociétaux, et avec toujours l’objectif d’une construction et d’une exploitation plus durable.

Par ailleurs, la volonté actuelle de diminuer drastiquement les émissions de carbone revient sur la notion de frugalité, de récupération et de réemploi des matériaux déjà existants ou en création. Si on prend l'exemple des immeubles en ossature bois : le bois existe déjà, les forêts sont déjà là, et elles permettent de créer un cercle vertueux entre le CO² et l’oxygène. »

Nicolas Vasset : Et elles renaissent !

Caroline Sainderichin : Ainsi, si nous voyons bien que l'utilisation du bois peut être un système très vertueux pour la planète, il n’en demeure pas moins le seul, et doit être envisagé au regard d’un ensemble de critères.

Un autre exemple, les FDES[2], grâce à leurs informations rendues incontournables sur l’origine des matériaux, elles nous permettent d'y voir plus clair et d'aller plus loin sur les enjeux de décarbonation. Nous ne sommes cependant qu’aux balbutiements de cette notion de construire un immeuble capable de respecter son environnement toute sa vie.

Nicolas Vasset : Sur nos immeubles, nous privilégions systématiquement les solutions qui ont les impacts environnementaux les plus faibles.

Caroline Sainderichin : Et au-delà de la construction, les notions d’intensité d’usage et de mètres carrés utiles sont aujourd'hui des concepts clés dans l’industrie immobilière. On le voit notamment chez l'intégralité des investisseurs et utilisateurs. METAL 57, le démonstrateur des savoirs de BNP Paribas Real Estate à Boulogne-Billancourt, en est un excellent exemple.

En effet, un mètre carré doit être utile ou multi-usage. On appelle cela la chronotopie, et cela participe activement à la notion de décarbonation de nos actifs.

 

  • Selon vous, pourquoi ne construisons-nous pas plus d'immeubles en bois, ou en matériaux bio-sourcés, en France ?

Caroline Sainderichin : Il y a deux problématiques. La première est celle du faible développement des filières du bois. En France, nous avons parmi les plus grandes forêts d'Europe, mais nous n’avons pas d'industrie sylvicole proportionnelle à la demande domestique. Ce qui nous oblige à aller en acheter à l’étranger, comme en Autriche par exemple. En restant sur des pays limitrophes, nous considérons répondre à des considérations écoresponsables. En revanche, importer depuis des pays lointains, ne participe aucunement à une logique de décarbonation. Par ailleurs, pour demeurer responsable, cette industrie du bois ne doit pas être la seule à alimenter nos programmes immobiliers. Nous nous devons de continuer à exploiter les filières existantes et à en envisager d’autres. Il faut avoir un usage raisonné des matériaux et pas « caricaturé ».

Ensuite, la seconde problématique repose non pas sur le bois ou quelque matériau que ce soit, mais sur l’enjeu majeur de la réhabilitation/rénovation d’immeubles vétustes. Nous avons environ 35 millions de m² d'immeubles tertiaires vétustes en France.

Nicolas Vasset : Il n’y a pas si longtemps, il était fréquent d’utiliser des ressources naturelles telles que la pierre ou le bois pour construire. Puis, le béton armé est rapidement devenu la solution pour une construction rapide, massive, solide et peu chère. L’usage d’un matériau doit s’envisager au regard de son exploitation et des besoins.

Caroline Sainderichin : Aujourd'hui, tout l'enjeu est de reconsidérer et d’étudier les matériaux biosourcés tels que le lin, le chanvre, la paille, la terre crue ou encore la pierre, tant dans leur utilisation à court terme qu’à long terme. Ils ont cela d’intéressants qu’ils sont renouvelables, présents localement sur les territoires français, et sans nécessité de transformation.

Le béton bas carbone est aussi une solution à envisager. Chaque matériau doit être réévalué à l’aune de ses caractéristiques et propriétés, dans la construction de l’immobilier durable de demain.

Nicolas Vasset : Le béton est constitué de ciment, d’eau, de sable, et de gravier. Le ciment représente environ 12% de la composition d’un béton, mais 85% de ses émissions carbone. Les industriels recherchent donc des solutions pour remplacer le ciment par des matériaux à plus faible empreinte carbone. Ces substituts sont issus pour certain de l’économie circulaire comme les laitiers de haut fourneau, ou de ressources naturelles comme les argiles calcinées. On arrive ainsi à un béton dit « décarboné » ou « bas carbone ».

Au-delà de l’utilisation des matériaux décarbonés ou biosourcés, je pense aussi que nous devons nous poser la question de la fin de vie des immeubles. Devons-nous démolir systématiquement ? De plus en plus, la réponse est non. Il est crucial de réutiliser l’existant dans une logique environnementale mais aussi de plus en plus patrimoniale.

 

  • L'économie circulaire est un sujet souvent abordé. Mais en pratique, comment s'applique-t-elle à la construction d'immeubles ?

Caroline Sainderichin : N'oublions pas que tous les sujets évoqués jusque-là sont récents dans l’ADN des acteurs de l’immobilier. Nous vivons une évolution voire une révolution dans le monde de l'immobilier.

Cependant, là aussi, je pense que pour l'instant il y a une problématique de filières et de mise en œuvre effective de l’économie circulaire. Aujourd'hui on doit réconcilier l'offre et la demande tout en aidant à la structuration des diverses filières. De nombreuses initiatives voient le jour en ce sens à l’instar du Booster du réemploi. dont BNP Paribas Real Estate est partenaire.

Les exemples se multiplient sur le sujet. Nous avons par exemple récupéré le plancher de l’immeuble des Miroirs à La Défense pour l’installer sur l’immeuble neuf du Groupe UP à Gennevilliers (92).

C’est désormais une conviction de notre côté ! Tous nos projets se doivent d’embarquer ces problématiques nouvelles et en particulier, celles liées à l’économie circulaire.

 

Nicolas Vasset : Aujourd’hui, nous avons l'obligation de faire un diagnostic ressources sur chacune de nos opérations de réhabilitation. Celui-ci permet de mettre en lumière les différents matériaux qui peuvent être réutilisés ou transformés au lieu d’être détruits.

L’économie circulaire demande toutefois beaucoup de travail d’organisation pour l’ensemble des acteurs. Cela implique d’aller chercher les matériaux de réemploi, de trouver les personnes qualifiées pour les retransformer ou les utiliser, d’impliquer l’ensemble des parties-prenantes, de régulariser les situations avec les assureurs, etc. En outre, je dirais que certains matériaux se prêtent davantage à l’économie circulaire que d’autres, tels que les faux-planchers ou les revêtements de sols, ainsi que les équipements sanitaires en céramique dès lors que le client accepterait une certaine hétérogénéité.

Rappelons toutefois que l'économie circulaire existe depuis longtemps dans certaines filières, aujourd’hui industrialisées. Je pense notamment à l'aluminium recyclé, que l’on retrouve dans toutes les façades de nos immeubles, ou les bétons de démolition, que nous concassons pour en faire des bases de chaussées de routes notamment.

Caroline Sainderichin : Effectivement, les différentes filières de l’économie circulaire se développent et s'intensifient. Je pense que nous n’en sommes qu’au début, mais ça peut aller assez vite.

Par exemple, les problèmes d'assurance que l'on connaissait il y a peu, se sont régularisés ces derniers mois. La majorité des assureurs ont été sensibilisés et ont pris conscience de la nécessité de trouver des solutions adaptées. Les industriels aussi se sont mis au pas de l’économie circulaire, à l’instar de la fabrication de verre à partir de calcin concassé et de matériaux récupérés. Et l’économie circulaire va nécessairement se développer auprès de nos clients investisseurs, notamment via l’intégration des critères ESG (Economiques, Sociaux et de Gouvernance) dans les fonds d’investissements et les actifs sous gestion, les nombreuses législations dont la RE2020, la Taxonomie Européenne, et les enjeux environnementaux.

Les promoteurs seront également amenés à porter financièrement ces sujets-là. C'est une évidence. Sauf qu’aujourd'hui, les projets immobiliers qui font le choix de l’économie circulaire sont plus chers. Celle-ci demande plus de manutention, de logistique et de savoir-faire. Actuellement, les promoteurs en assument la charge financière. Je pense cependant que les investisseurs participeront dans un avenir proche à l'effort collectif.

D’un autre côté, il va nous falloir être de plus en plus frugal, et ce, dans de nombreux aspects tels que l’architecture ou la décoration intérieure de chaque immeuble. Nous devons également nous améliorer sur la gestion des approvisionnements de matériaux puis la gestion des déchets de construction/démolition.

  • La construction d'immeubles peut-elle s'adapter à l'évolution constante de la législation et aux objectifs de réduction énergétique ?

Caroline Sainderichin : Les législations donnent un cadre. Cependant, elles considèrent que le monde de l'immobilier est un monde d’uni-bâtiment. 

Nicolas Vasset : Il est vrai que les législations s’adaptent peu à notre industrie immobilière, et particulièrement aux grands immeubles de bureaux.

Caroline Sainderichin : Les législations oublient également qu’il faut réfléchir à l’échelle d’un quartier et non d’un seul bâtiment. Prenons l’exemple de METAL 57. Nous avons quatre niveaux de parking en sous-sol. Etant donné que nous sommes en plein PPRI (Plan de prévention des risques d’inondation), nous avons été contraints de construire des murs en béton extrêmement larges. Automatiquement, nous avons des mauvais résultats en termes d’émissions de carbone. Cependant, dans le même temps, nous avons dépollué 100% de la nappe phréatique située sous le site. Autre exemple, à Gennevilliers, nous voulions également construire un parking sous-terrain, nous avons été confrontés à des contraintes de qualité de sol, qui nous ont imposé la réalisation d’un parking en silo alors même que nous envisagions de conserver cette partie du site à l’état naturel.   

Il est évident que les réglementations ne peuvent pas se permettre de s’adapter à chaque réalité de projet. Elles donnent des socles communs globaux, qui peuvent s’avérer contraignants et inadaptés.

Nicolas Vasset : J'ajouterais que, certes, ces réglementations sont imparfaites, mais elles ont le mérite d'exister et d'avoir déjà fait progresser notre industrie. Les RT2000, RT2005 et RT2012 n’étaient que des réglementations thermiques visant à faire réduire la consommation énergétique des immeubles. Mais nous avons été contraints de nous adapter, notamment en améliorant nos manières de concevoir des immeubles, particulièrement sur le plan de la consommation en énergie.

Il faut également penser aux législations et manières de faire à l’international. Je me souviens d'une opération en particulier : nous avons vendu en 2014 un immeuble à un fonds néerlandais, qui était très en pointe sur les sujets environnementaux et qui nous a demandé de faire beaucoup mieux que la réglementation en vigueur. Avec un peu d’intelligence et d’analyse, et un peu d’investissement aussi, nous sommes parvenus à livrer un immeuble certifié BREEAM Out-standing, avec le meilleur score jamais obtenu en France et l’un des meilleurs en Europe.

Sur le sujet Carbone, nous avons très tôt cherché à connaitre le poids carbone de nos immeubles. Puisque, si nous voulons faire des efforts et nous améliorer, il nous fallait déjà obtenir les données de consommations et d’émissions de nos actifs. Nous avons donc étudié nos actifs un par un et collecté d’importantes données très utiles.

Il y a ensuite eu les expérimentations BBCA et E+C-, qui n’étaient toutefois qu’incitatives. Puis aujourd’hui, il y a la RE2020 qui contient un volet complet sur l’indice carbone de la construction et sur l’énergie. Toutes ces réglementations sont certes imparfaites, mais elles tirent les acteurs de l’immobilier, et plus largement l’industrie immobilière, vers le haut. »

 

  • Comment faire en sorte qu'un immeuble soit énergétiquement performant ?

Nicolas Vasset : La meilleure énergie est celle qu'on ne consomme pas. Ainsi, l’immeuble le plus performant sur le plan énergétique est celui qui consomme le moins d'énergie, voire qui est passif. Ce qui veut dire que l’immeuble doit avoir une excellente qualité d’enveloppe, conçue en fonction des orientations, il doit sans doute posséder de la végétation de façon assez abondante en toiture, et des couleurs qui réfléchissent la lumière… Autant de critères que l’on retrouve dans une architecture dite bioclimatique.

Après avoir fait ce travail sur l'enveloppe, tout en minimisant l’ensemble des besoins en énergie de l'immeuble, il faut choisir le mix énergétique le plus performant possible. Soit un immeuble qui fonctionne avec un minimum d'électricité, un haut rendement et qui émette le moins de carbone possible. On optera donc surtout des réseaux urbains et sur des solutions électriques, de la géothermie sur nappe phréatique, etc.

Caroline Sainderichin : Dans le but de construire un futur plus acceptable pour tous, je pense qu’il faut aussi élargir notre spectre de lecture, de calcul et d’analyse pour désormais réfléchir à l’échelle d’un quartier, et non plus d’un bâtiment. Puisqu’on vit dans un appartement le soir, la nuit et le week-end, mais qu’on travaille dans des immeubles de bureaux le jour, il nous faut approfondir l’intensification et la mixité d’usage, mais aussi les boucles thermiques énergétiques ou les îlots de chaleur. Ainsi, chaque immeuble fait partie d'un écosystème à part entière.

Avec le dérèglement climatique, il faut innover dans notre manière de rafraichir les villes. Cela se fait à l’échelle du quartier. Par exemple, les espaces communs situés au rez-de-chaussée de nos immeubles de bureaux pourraient être des ERP (Etablissement recevant du public), et participer ainsi activement à la dynamique de la vie locale, et parfois s’inscrire dans une volonté de participer à un effort collectif et sociétal de solidarité.

Il est à retenir que la diminution des émissions carbone et l’intensification d’usage sont intimement liés et participent au renouveau de l’immobilier !

 

[1] L’analyse du cycle de vie (ACV) recense et quantifie, tout au long de la vie des produits, les flux physiques de matière et d’énergie associés aux activités humaines. Elle en évalue les impacts potentiels puis interprète les résultats obtenus en fonction de ses objectifs initiaux. Sa robustesse est fondée sur une double approche : « cycle de vie » et « multicritère ». Source : Qu'est-ce que l'ACV ? – Ademe

[2] FDES : fiche de données environnementales et sanitaires

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