L’entreprise traditionnelle, au management pyramidal, aux collaborateurs sédentaires et à l’aménagement cloisonné, disparaît au profit d’une entreprise de travail collaboratif, aux salariés mobiles et à l’aménagement ouvert et flexible. Les mobilités internes comme externes explosent. Les jeunes générations sont à la recherche d’un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Le développement des nouvelles technologies permet aux collaborateurs de travailler d’où ils le veulent et quand ils le veulent. La structure complète des entreprises est en mutation ; elle devient plus agile, plus étendue sur l’ensemble du territoire, plus ouverte aux compétences de nouveaux acteurs : elle devient hybride.

Le nomadisme au cœur des nouvelles méthodes de travail

 

Une infographie réalisée par l’assureur Hiscox révèle que 93 % des actifs ne veulent plus d’un bureau classique. Cette mobilité se constate à toutes les échelles : en dehors de l’entreprise, dans l’entreprise et jusqu’au poste de travail. De nombreuses études ont prouvé que bouger permettait de rester en meilleure santé. Des chercheurs de l’Université de l’Indiana ont montré que le simple fait de changer de position régulièrement permettait de contrer les effets délétères d’une position assise prolongée. C’est aujourd’hui possible avec les postes de travail assis-debout qui se démocratisent et les nombreuses offres d’assises dynamiques qui fleurissent chez les fabricants.

Des espaces pensés pour chaque usage

 

Le collaborateur bouge également au sein de son entreprise. Les environnements doivent être de plus en plus flexibles pour répondre aux différentes activités tout au long de la journée : travail individuel et de concentration, réunions d’équipe, discussions informelles, moments de détente et de convivialité… et pour s’adapter aux nouveaux modes de travail : nomadisme, travail ponctuel en mode projet, travail à distance, etc. Les espaces de bureaux traditionnels sont mis à rude épreuve ! Désormais, l’utilisateur s’attend à pouvoir changer la physionomie des espaces dans la journée. Les sites doivent être pensés comme des lieux évolutifs avec la possibilité d’avoir des plateaux supplémentaires, d’ajouter ou de supprimer des postes de travail, de bouger les cloisons à l’envi.

Enfin, le collaborateur est nomade, il travaille dans et hors de son entreprise. L’entreprise « libérée » a compris que laisser de la liberté et de l’autonomie aux collaborateurs leur apportait une marque de confiance et une plus grande satisfaction au travail. L’idée repose sur le fait que les salariés sont souvent les mieux placés pour savoir ce qu’il faut changer en interne afin de permettre à l’entreprise de se développer. Ainsi, ils sont libres de travailler dans n’importe quel espace de l’entreprise, et même en dehors, en télétravail, dans des tiers-lieux non professionnels comme les cafés Wi-Fi, les business lounges, les transports individuels et collectifs, et dans les tiers-lieux professionnels comme les bureaux de proximité, les centres d’affaires et les tiers lieux d’innovation.

Les tiers-lieux d’innovation plébiscités par les actifs

Parmi ces derniers, les espaces de coworking sont la figure de proue. En moins de dix ans, ces espaces ont explosé : ils sont désormais plus de 100 000 coworkers dans le monde, avec un accroissement par an de plus de 100 %. Les coworkers sont attirés par la confidentialité garantie par ces lieux payants, la mise à disposition de l’équipement nécessaire pour travailler sur la durée, et surtout, l’intégration d’un réseau de travailleurs avec une animation très forte, encourageant les échanges et le travail collaboratif. Les incubateurs et les pépinières d’entreprise font également évoluer leur offre pour répondre aux besoins de bureaux et d’accompagnement à la création d’activité d’auto-entrepreneurs, de TPE et d’indépendants, ou aux besoins d’entreprises en matière de bureaux de proximité. Aménagés comme des télécentres, ils viennent compléter l’offre en tiers lieux d’un territoire. Les fablabs (diminutif de « fabrication laboratory ») sont des espaces de cocréation, des lieux ouverts où toutes sortes d’outils sont mis à disposition : machines-outils, imprimantes 3D, etc., pour la production et la fabrication d’objets. Il s’agit d’une autre façon de produire efficace, flexible, décentralisée et autonome. Leur crédo : « faire c’est apprendre et apprendre c’est faire ». Ces hackerspaces rassemblent des personnes aux intérêts communs et fonctionnent sur le principe que chacun peut apprendre de l’autre. Ils participent au mouvement plus général de l’économie du savoir, avec la volonté de se former tout au long de sa vie et d’accéder à la connaissance et à l’information.

Elle se traduit par exemple par le développement des cyberconférences et des MOOC (massive open online course) et par celui des campus d’entreprise qui disposent d’une université avec formateurs internes. Certains d’entre eux vont jusqu’à ouvrir leurs universités à leurs clients ou à des partenaires externes et deviennent de véritables centres de profits.

Les tiers lieux sont des endroits où chacun est libre de s’exprimer et où le débat d’idées est source d’inspiration et d’innovation. Au sein de l’entreprise aussi, des espaces centraux conçus comme des forums romains permettent de se réunir, de travailler, de se restaurer ou d’organiser des évènements, devenant un véritable lieu de rencontre entre diverses catégories d’utilisateurs.

L’entreprise est passée d’un management hiérarchique et de contrôle hérité du taylorisme et d’un modèle militaire obsolète, à un management de confiance où la hiérarchie est horizontale et où les services et autres départements ont tendance à disparaître. Le salarié n’est plus évalué en fonction de son présentéisme dans l’entreprise, mais challengé sur des objectifs à atteindre.

Le nomadisme, leviers du développement durable et du flex office

Venir au bureau peut même devenir une contrainte pour les collaborateurs : temps de trajet longs, problèmes de transports, nuisances sonores. Une étude de Polycom affirme qu’en 2022, 60 % des salariés travailleront régulièrement de chez eux, évitant ainsi l’aliénant métro-boulot-dodo quotidien.

La réduction des transports répond aussi aux enjeux liés au développement durable et à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), désormais de mieux en mieux intégrés aux stratégies des organisations : confort des usagers, santé, performance, aspects financiers, etc. Le développement durable concerne la phase amont de conception d’un projet (réglementations HQE, LEED, BREEAM ou MINERGIE, conception bioclimatique, passive ou à énergie positive, choix des matériaux, etc.), puis la phase de chantier et de construction à proprement parler (chantier, réduction des nuisances et relations avec les riverains, emploi de personnel local et/ou en insertion, origine des matériaux, impact économique local du chantier, etc.). Enfin, il concerne la phase d’exploitation du bâtiment : sensibilisation des utilisateurs, valorisation des déchets, économie d’énergie, ouverture du bâtiment sur ses environnements naturels et urbains immédiats, covoiturage, prise en compte de tous les handicaps, etc.

Le nomadisme généralisé permet aussi à l’entreprise de proposer des postes en flex office, aussi appelés « bureaux par fonction », des postes de travail non attribués et spécialisés, permettant une rationalisation des coûts de l’immobilier ; les mètres carrés ainsi libérés pouvant être dédiés à davantage d’espaces collaboratifs.

Un nouveau champ des possibles grâce à la technologie

Le territoire de l’entreprise a des contours plus flous. Les nouvelles technologies permettent de travailler seul à distance bien sûr, mais elles facilitent également le travail collaboratif, l’esprit d’équipe, la cohésion et le lien social grâce à des outils comme l’intranet, les réseaux sociaux d’entreprise, les visioconférences, les roundtables, la téléprésence, etc.

Des applications permettent d’administrer facilement la présence et les services dans les salles de réunion. Des systèmes reliant le mobilier à des capteurs incitent les utilisateurs à bouger tout au long de la journée, mais fournissent également de précieuses informations concernant le taux d’occupation des entreprises. Placés dans les sièges, ils détectent la présence de l’utilisateur : cette information permet aux entreprises d’optimiser ses aménagements, de savoir si leurs environnements sont utilisés ou non et par combien de personnes… et de revoir ainsi les espaces nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise. D’autres applications informatiques permettent de partager son contenu de travail en direct avec ses collègues en le projetant sur un écran, pour une interaction instantanée sur un projet, un suivi tout au long de son déroulement et une réactivité accrue, gages de davantage d’efficacité.

Un bureau pour les rassembler tous

Les nouvelles technologies et la diversification des lieux où se pratique le travail sonnent-elles pour autant le glas du bureau ? Pas si sûr. L’entreprise s’est dématérialisée sous l’impulsion de la révolution digitale et de la généralisation des outils nomades, mais paradoxalement, le « bureau » reste l’un des principaux piliers de l’image externe et interne et de la cohésion interne. Le siège social est le point central de rencontre entre les clients, les collaborateurs, l’entreprise et son écosystème. Il doit favoriser les échanges, les réunions conviviales, les coopérations et collaborations en interne et avec l’externe. Le siège est l’endroit qui regroupe et fait se rencontrer la plupart des parties prenantes (clients, fournisseurs, collaborateurs, etc.) de l’entreprise, toutes les générations, les cultures, les compétences. En incarnant les valeurs de l’entreprise, en se faisant la vitrine de ses produits et en illustrant son dynamisme, le siège social peut communiquer efficacement sur l’entreprise et contribuer ainsi à son image et à son attractivité.

Le bureau un espace commun qui permet de créer des interactions entre les différents services et avec des compétences extérieures qui ouvrent l’esprit, favorise la créativité et l’innovation. De plus en plus de grandes entreprises proposent de louer leurs espaces inoccupés, dans le but de développer davantage de transversalité en interne, mais aussi d’ouvrir ces lieux à des équipes externes. Ce type d’ouverture s’applique aussi bien à des structures que l’entreprise connaît à force de collaboration, qu’à d’autres plus extérieures, afin de stimuler l’« open innovation ». Ainsi, certaines entreprises accueillent et soutiennent désormais des start-up au regard neuf, en mettant à leur disposition des locaux non utilisés. Elles parrainent de jeunes entrepreneurs locaux porteurs de projets responsables et source d’opportunités pour l’entreprise. La capacité des bureaux à créer de nouvelles synergies — avec toutes les parties prenantes de son activité — est prépondérante pour l’attractivité économique des territoires.

Le lieu de travail comme facteur d’attractivité des entreprises

Pour ne pas perdre la culture et l’esprit d’entreprise, il faut donner envie au collaborateur de revenir au bureau. Ainsi, un nombre croissant d’entreprises font de leur projet immobilier un véritable projet d’entreprise avec une démarche participative des collaborateurs qui deviennent acteurs de leur environnement, et voient dans la conception et l’aménagement de leurs espaces de travail un outil stratégique et managérial qui va bien au-delà de dimensions spatiales. Dans le Baromètre ACTINEO/CSA 2015, l’aménagement des bureaux et des locaux de l’entreprise est quasi unanimement cité comme facteur de bien-être, d’efficacité et de motivation (respectivement 94 %, 92 % et 88 %, environ 10 points de plus sur tous ces items depuis 2011).

L’espace sert à attirer et à fidéliser les talents dans les entreprises. Pour séduire et recruter les profils data et digitaux, tout ne se joue pas avec le salaire. Les nouvelles générations attendent un cadre de travail en phase avec leurs aspirations : plus de souplesse, plus d’autonomie, plus de nomadisme.

Le siège social devient alors un centre de services et de ressources, qui compense bien souvent son relatif éloignement des centres villes et des commerces de proximité. Il ne s’agit plus là uniquement de simples services de conciergerie ou de garde d’enfants proposés aux collaborateurs, mais également de s’occuper de leurs loisirs, de leur santé. L’entreprise se pose en garante de l’équilibre mental et physique du salarié : cuisine saine et bio, panier-repas, coaching sportif, et espaces différenciés respectant sa chronobiologie : bulles de sieste, espaces de brainstorming, création de phone box, touch bar, cosy room, happen space, service lounge, salles silence, etc. L’aménagement des espaces de travail reprend de plus en plus les codes de l’habitat, et favorise le confort acoustique, visuel, thermique et la qualité de l’air intérieur. La biophilie est prisée, avec l’intégration de la nature dans les bureaux, la vue sur les espaces verts, la protection de la biodiversité (ruche, abri pour animaux, etc.). L’entreprise a compris que la lutte contre le stress et la prise en compte du bien-être et de la santé des collaborateurs, notamment par l’aménagement, ne pouvaient qu’améliorer la productivité de l’entreprise.

Désormais, travailler, c’est aussi y trouver du plaisir. Le smart office est à mille lieues du travail souffrance. Le bureau deviendrait même le support de l’accomplissement personnel, le garant du bon équilibre entre les temps de vie. Des directeurs du bonheur arrivent dans les entreprises, remplaçant certains DRH ou DET, preuve de cette porosité de plus en plus importante entre vie privée et vie professionnelle. Alors, la fin du bureau ? Non, le bureau est partout et nulle part à la fois, le bureau est liquide et multiforme. Le bureau est mort, vive le bureau !

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